Francis Huster : la femme aujourd’hui, c’est la mère, la femme et la pute en même temps !

Publié le par interviewexclusive

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lutôt rare à la télévision comme dans l’ensemble des médias, Francis Huster, qui, au cours de la tournée avec son spectacle seul en scène "La Peste", était de passage en Savoie, nous a accordés une interview passionnée. 

 

 

 

Seul en scène, dans un décor minimaliste de station de métro, jouant une dizaine de personnages du roman éponyme d’Albert Camus, Francis Huster a connu un périple incroyable de plus de 800 représentations devant plus d’un million de spectateurs dans le monde.

Il est aujourd’hui dans "Bronx", de Chazz Palminteri mise en scène par Steve Swissa,  qu’il joue actuellement aux Bouffes parisiens, interprétant, cette fois, 18 personnages, seul en scène. Pièce qui le mènera, bientôt, dans une nouvelle tournée en France. Performance, performance !!

 

Quelle force vous pousse, encore et encore à jouer cette pièce, seul en scène ?

« Albert Camus et Jean-Louis Barrault ! Jean-Louis Barrault avait tenté une première version de La Peste : « L’état de siège » en 1948. Elle a été un échec retentissant. Camus a dit à Barrault, il faut faire cette pièce seul en scène, je vais la faire. Il est malheureusement décédé au moment de la représenter. En 1971, c’était au concours du Conservatoire, Jean-Louis Barrault m’a dit : tu vas la faire ! Et j’ai mis plus de 15 ans pour réaliser La Peste seul en scène. J’ai donné la première en 1987, au théâtre de La Porte Saint-Martin. J’en suis aujourd’hui à la troisième version, la version américaine.  Ce soir, je joue la 772! »

 

Au firmament de sa carrière, le comédien est tout autant propulsé par la jeunesse du public qui vient l’écouter. « Je n’ai plus le même public aujourd’hui, les trois quarts sont des jeunes. C’est ce qui me tient, le livre, la pièce s’adressent aux jeunes d’aujourd’hui ! »

Francis Huster, l’un des derniers grands acteurs français, est là devant vous, auguste, beau et simple dans ses 64 ans, dans son trench bleu marine. Sa voix, au timbre chaud et magique de ténor, enveloppe d’un charme indéfinissable. À peine débarqué du train, lui et la salle où il s’assied ne se connaissent pas, il formule des réponses aux questions qui ne minaudent pas, ne font pas dans la mièvrerie. Immédiatement, il embarque dans la hauteur de vue, dans la profondeur de la réflexion humaine. Un sourire subtil, un œil qui frise de plaisir quand il peut parler de sport. De foot naturellement, dont il est un extraordinaire connaisseur. L’homme est un sportif de cœur, pétri d’une culture immense, de lucidité et d’un humour généreux. Il joue La Peste pour dire au monde « Comment Dieu, s’il existe, peut laisser perdurer de telles injustices ?! Il doit payer pour ça ! »

 

« Je déteste les acteurs qui donnent des leçons de politique »

 

Pouvez-vous nous raconter une anecdote qui vous a marqué dans ce très long voyage avec La Peste ?

« À La Porte Saint-Martin, j’ai vomi en plein milieu de la pièce. Tellement c’était bouleversant émotionnellement. Les gens ont cru, de prime abord, qu’il s’agissait d’un effet prévu dans la pièce, mais quand je suis allé chercher une serpillère et que je me suis mis à essuyer, ils se sont rendu compte que j’avais réellement vomi. C’était vrai et j’ai reçu un tonnerre d’applaudissements quand j’ai pu reprendre le cours de la pièce. »

Aujourd’hui, qu’est-ce qui vous agace dans ce métier de comédien ?

« Les acteurs qui viennent se pavaner à la télé pour raconter leur bla-bla politique. Surtout ceux qui gagnent beaucoup d’argent et qui viennent donner des leçons… Il y en a qui devraient réfléchir ! »

Quel a été votre pire moment en tant qu’acteur ?

« Quand je me suis cassé la jambe sur la générale des Caprices de Marianne. À la première scène, les marches n’étaient pas à la bonne hauteur et j’ai chuté. J’ai joué toute la pièce avec la jambe cassée. »

Et votre meilleur ?

« Certainement avec Lorenzaccio ! En eurovision, à la Comédie française… 200 millions de spectateurs ! Vous vous rendez compte que malgré ce succès, le DVD n'est sorti que trente ans plus tard ! »

Quel est votre type de rôle ?

« Je joue des héros. Je n’ai jamais pu jouer des salauds, des traitres, je n’y arrive pas ! Pierre Dux m’a dit : ce n’est même pas la peine d’essayer ! »

Vous passez pour l’incarnation du grand séducteur, comment vous en sortez-vous avec les femmes ?

« Je m’en sors très mal. Les femmes ont énormément changé. Avant, il y avait la mère, la femme et la putain, maintenant les trois sont dans la même. C’est la vérité ! La femme désormais se prend pour votre mère, au quotidien elle est une femme et elle fait la pute ! »

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« Je serais Marylin Monroe »

 

Cinéma, théâtre, des mondes de rêve… Dans le monde actuel, comment vous sentez-vous ? Comment percevez-vous les troubles actuels ?

« La 5e République est morte, il faut faire naître la 6! Il faut aller vers une autre mentalité. Mais si, ce faisant, elle oublie les valeurs européennes et si elle continue à aller vers les valeurs exclusives de l’argent, je serais particulièrement effrayé. Après-guerre, des mondes politiques se sont alliés pour un encadrement social sur lequel nous avons vécu, nous avons avancé. On peut les louer de cela, mais on a tout fait pour le faire sauter. Nous sommes allé tout droit au cataclysme ! »

Si vous étiez un animal, ce serait ?

« Le chien. Je gueule souvent, mais je suis fidèle. Et j’obéis à mon maître ! (Rires) »

Si vous étiez une femme ?

« Ce serait Marylin Monroe. Elle n’a jamais cédé. Contrairement à Elisabeth Taylor, Jane Fonda, Audrey Hepburn ou Grace Kelly. C’est la seule qui a dépassé l’actrice pour imposer ce qu’elle était humainement. Une seule… avec Vivien Leigh et Simone Signoret. Deux femmes totalement à part dans le métier. »

Quel est votre dernier rêve ?

« Que la pièce commence, le rideau se lève et je vois mes filles jouer du Shakespeare. Je pourrai dire : j’ai réussi ma vie. »

Qu’est-ce qui vous effraie ? De mourir avant d’avoir tout joué ?

« De ne pas mourir en jouant ! En jouant, c’est ce qui serait le plus propre. Je mourrai dans mon lit, chez moi sur scène. J’ai été frappé de la mort de Fausto Coppi en Afrique, de la malaria. Qu’est-ce que la mort est allée le chercher là-bas ? Je ne voudrais pas ça ! »

 

Francis Huster entre en scène, Albert Camus, sa voix, scande au-dessus de la salle : « Le théâtre est un lieu de vérité… Si vous voulez vivre de la vérité, jouez la comédie ! » Il pose une veste, la remet, il traverse une âme, une autre, revient, leurs mots lui viennent, Albert Camus se fait ombre vivace, alchimiste. La vie, les lieux, les remugles des existences pénètrent et suppurent de son corps, jusqu’aux autres médusés, qu’il sollicite dans l’ardeur, qu’il percute, les associant dans la prise de conscience. Les bouleversements émotionnels opèrent dans l’intemporel, tant la Peste est l’amante assassine d’une modernité l’autre. Camus-Huster repart, gravissant la foule saisie de la voix d’Yves Montand engagée avec Prévert dans « Les Feuilles mortes ». Un salut qui ne dira jamais au revoir.

 

Photos : Daniel Giry  

Interview : Luc Monge

 

 

 

 

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